dimanche 26 avril 2015

Little Social, Londres

Avant de m'aventurer dans ce dernier repas londonien, je souhaite publiquement remercier mon ami et blogueur gourmand Hedofoodia qui m'a grandement aiguillé et conseillé tant dans le choix de mes tables que dans mes sentiers touristiques, fort d'une expérience de nombreuses années. Un grand merci !

Car oui ce séjour londonien a entièrement eu pour mots-clés découverte, gourmandise, surprise voire même émerveillement. Cette dernière expérience gastronomique constitue un point d'orgue et une conclusion idéale à ce voyage.

Ce 2 janvier 2015, en effet, après une ultime balade dans cette cité incroyable, je me retrouve dans ce carrefour routier surexcité et surpeuplé qu'est Picadilly Circus, en plein cœur de Londres, centre névralgique encore tout illuminé des décorations de fêtes, où la foule s'entasse déjà pour profiter des soldes qui débutent tout juste alors. Boutiques chics et clinquantes à perte de vue sur toutes les routes rejoignant ce centre, dont Regent Street que l'on remontera un instant pour atteindre une rue perpendiculaire qui nous mènera, finalement, à Pollen Street, une petite rue qui n'a l'air de rien, fine, courte, un peu sombre, mais qui abrite deux établissements d'exception, sans cesse bondés, qui plus est gérés sous un même nom.


Mais qui soulève donc ainsi les passions ? Un certain Jason Atherton dont le palmarès auprès de chefs prestigieux est tout à fait remarquable: Pierre Koffmann, Marco Pierre White, Nico Ladenis ou encore Ferran Adria d'El Bulli, puis rejoint le Groupe Gordon Ramsay en 2001, véritable figure emblématique du monde gastronomique, livresque et télévisuel britannique qui a mené une véritable conquête mondiale. Avec un tel modèle, il n'est pas étonnant que Jason Atherton se lance dans sa propre entreprise éponyme avec, dès 2011, le « Pollen Street Social », sis justement Pollen Street, en face de ma destination du jour.
Son travail est très vite couronné de succès. Une étoile après 6 mois, de nombreuses autres récompenses par la suite, on parle du Pollen Street Social comme du nouveau meilleur restaurant londonien.

Je ne dénombrerai pas toutes ses tables à travers le monde. Contentons-nous de souligner que son nom réunit déjà 19 enseignes, dont 8 à Londres et deux dans la même rue... Le Little Social, droit en face de son premier succès, proposant une cuisine plus bistronomique que gastronomique, à des prix moindres, dans un climat plus détendu tout en promettant raffinement dans l'accueil et l'assiette. Autant dire que je ne pouvais que me réjouir de ce repas (même si c'était le dernier repas du séjour).

Dans cette petite rue, donc, l'air de rien, ces deux fleurons gastronomiques attirent foule. D'un côté, une baie vitrée détourée de noir annonce le chic Pollen Street Social où un coup d'oeil à travers la vitre semble qu'on n'y entre pas en basket et marcel.


De l'autre, une devanture tout aussi noir laissant penser à un pub ou un bistrot presque à la française cache le Little Social.

Une ambiance détendue et amicale y règne. Dès l'entrée, on sera charmé par le service rayonnant, plein d'humour, vêtu de chemise et veston noir-cravatte complété par un jeans, reflétant tout à fait les lieux.


On pénètre dans un établissement assez lumineux, raisonnant de l'heureuse clameur et d'une forme d'excitation d'un public bigarré.
Intérieur vraiment très original, on se croirait presque dans un tripot de Pigalle, papier peint jaunâtre en panneaux entourés de bois sombre ouvragé, vieilles pubs et photos françaises, hautes plinthes, du mobilier aux arrondis rappelant les productions de styles Louis avec ces pieds arrondis, des banquettes de cuir rouge pétant, lampes de toutes sortes sur touts supports, un très beau et long bar.


On ajoutera encore à ce tableau étonnant une volée d'escaliers habillée de vieilles cartes routières françaises et illuminée de néons formant quatre mots : « Silence Logique Sécurité Prudence » rappelant l'Alphaville de Godard.


Je serai mené, après avoir été aimablement débarrassé de mon manteau et de mon sac, dans ce décors plutôt stupéfiant, jusqu'à ma table, bien centrée dans la salle m'offrant une vue de choix de tout ce qu'il s'y passe.

On me porte illico la carte, on me demande si je désire de l'eau et enfin on me propose un apéritif. Ne rompant pas avec la mode des cocktails, le Little Social en possède un bel assortiment qui sont tous plutôt créatifs et diablement tentants, inspirés par la saison, aux intitulés rappelant fortement l'affection non dissimulée du lieu pour la culture française. Ma première pensée est: « si le menu est semblable, je ne pourrai jamais faire de choix ». Bon, je me décide pour un « Poire Quoi ? ». Composé de Vodka Grey Goose à la poire, liqueur de gingembre du Domaine de Canton, de la poire William, du citron frais et du sirop de laurier, et une petite dose d'absinthe pour finir le tout. Rien a dire, splendide et cela donne le courage d'attaquer la carte !


La carte s'apparente à un supplice de Tantale (a défaut que moi, je boirai et je mangerai quand même). Elle est pourtant pas bien grande mais tous les intitulés respirent la gourmandise, l'inventivité, un peu de folie, la fraîcheur, et la qualité. La base de conception est toujours la cuisine anglaise, mais très inspirée, où l'on trouvera créativité et influences internationales, où des produits simples et quotidiens côtoient l'exceptionnel. Impossible de ne pas fondre à la lecture.
Quoi qu'il en soit, tout les goûts y trouveront leur compte ! Je ferai mon choix, réjoui et affamé, en même temps un peu déçu d'avoir dû faire un choix. Pour parfaire l'épreuve, quand enfin une décision semble à se dessiner, la serveuse ne manquera pas de venir réciter les suggestions du jour qui ne manqueront pas de vous désespérer !

Très vite, un très beau pain m'arrive dans une jolie corbeille. Une excellente baguette, un très beau pain foncé au levain, un beurre légèrement salé et fumé de très bon goût, ça promet.


En entrée, ayant vu de l'anguille à la carte, je me suis laissé tenter par la « Warm smocked eel, beetroot, horseradish cream, watercress ». Une assiette très délicate, presque féminine, m'arrive, transportant un parfum très appétissant: au centre, le produit, l'anguille fumée, qui est absolument parfaite, équilibre entre le fumé, le salé, la gourmandise de ce poisson star, juste couronné d'une petite betterave rouge tournée, parfaitement assaisonnée d'un parfum chaud, rappelant un léger fumé, assez difficile à décrire. Plus loin, deux autres betteraves, jaunes celles-ci, ayant subi un traitement semblable. On trouvera encore trois petits dômes de jus de betterave d'une très grande gourmandise, à nouveau très travaillés mais sans être à même de déterminer les saveurs que je ressentais. Enfin, une crème de raifort qui se fait mousse légère d'une très grande gourmandise, avec toute la saveur du produit sans son piquant anesthésiant. Quelques feuilles de pourpier viendront parfaire ce tableau d'une précision redoutable.


En plat, je commanderai un « Roasted Cornish line caughtcod, Asian spiced cauliflower and aromatic duck broth ». Un filet de cabillaud donc, péché à la ligne, provenant de Cornouailles qui est une provenance réputée pour sa qualité. L'assiette en comporte un tronçon copieux dont la cuisson, plutôt délicate, est maîtrisée à la perfection. Il est entouré de quelques fleurs de chou romanesco et présenté sur son podium de ce même chou presque préparer comme un couscous, très parfumé de saveurs rappelant le mélange cinq épices chinois mais plus délicat. Sur cet ensemble viendra en un second temps s'ajouter un bouillon presque improbable mais qui sublimera le plat. Un bouillon assez fluide et corsé au canard, parfumé au soja et les mêmes traceurs gustatifs rappelant les cinq épices. Épatant d'équilibre gustatif et de méticulosité dans la préparation de chaque élément.


Craignant de ne pas avoir assez faim, lorsque l'on ma proposé un accompagnements, entre poutine (!), frites, purée... j'ai préféré une simple salade de feuilles et herbes qui s'est avéré parfaite avec une vinaigrette tout à fait succulente.
 

Le vin ne sera pas en reste. Pendant le repas, je prendrai un verre de vin d'un vigneron français collaborant directement avec le Pollen Street Social, Thomas Carsin, du Domaine du Clos de l'Élu, en Loire. Un mono-cépage de Cabernet Franc au nez généreux et aux saveurs prononcées mûres-cassis tout en délicatesse qui accompagnera à ravir mon plat.
Pour le dessert, je ne me refuserai pas un second verre de vin, un Val d'Aoste « Chaude Lune » 2011, un « vin de glace » (les raisins ont été vendangés après gelées), une méthode de fabrication offrant un sucre résiduel riche et ample, d'une belle complexité, conservant une acidité permettant de boire cela comme un sirop, une très belle découverte !

Et ce dessert alors ? Je ne résisterai pas au crumble du moment: « Pear and blackberry crumble, mascarpone and cinamon creme anglaise ». M'arrive une assiette composée d'une petite compote de poire entourée de petites sphères de poire et des moitiés de mûres, dans un élégant dénuement. Puis la serveuse s'approche, armée d'une casserole en cuivre et laisse s'écouler un crumble chaud, splendide, en quantité généreuse et dépose finalement une saucière remplie d'une crème anglaise au mascarpone et à la cannelle que le client ajoutera par lui-même à la préparation. Un dessert délicieusement régressif, on se sent comme un enfant face à tant de gourmandise. Un crumble riche en noisettes, plein de saveurs et parfait en bouche, chaud, se mêlant avec la préparation froide qui se trouve au-dessous, et que l'on liera de cette splendide crème de mascarpone. Diabolique.



Il n'y a pas à dire: commandant un thé vert pour faire durer le plaisir, je ne peux que venir au constat que je viens probablement de passer mon meilleur repas de ce séjour.

Je demande l'addition et profite encore du ballet de ces serveurs ultra efficaces dont le sourire, l'humour et le professionnalisme sont remarquables et sauront mettre à l'aise n'importe qui, dans ce cadre, qui plus est, vraiment original et qui, au fur et à mesure du repas, tombe finalement sous le sens !

L'addition, je la recevrai dans une petite enveloppe indiquant « by air mail », comme venue, une fois de plus, de France. Amusant de pousser le concept jusque là. Le portefeuille n'en sortira pas indemne, 114.75£, évidemment, mais on s'y attendait et l'expérience le justifie.

Une expérience que je renouvellerai probablement et que j'encourage de découvrir !

Little Social
5 Pollen Street, Mayfair
London W1S 1NE
Royaume-Uni